Un arrêt récent de la Cour de cassation réaffirme que l’on ne peut condamner une société sans prouver que l’un de ses représentants a personnellement commis l’infraction, pour son compte.
Depuis que les personnes morales peuvent être pénalement responsables, la tentation est grande de les tenir pour coupables dès qu’un manquement est constaté dans l’entreprise. Mais en droit pénal, la rigueur est de mise : on ne peut condamner une société sans démontrer qui a fait quoi, pour elle.
L’arrêt rendu le 18 mars 2025 par la chambre criminelle de la Cour de cassation (n° 24-84.094) rappelle cette exigence. Il annule une condamnation qui ne respectait pas les conditions précises posées par la loi.
Une responsabilité encadrée
L’article 121-2 du Code pénal précise que les personnes morales sont pénalement responsables des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
Cela signifie que :
- Il faut une infraction clairement identifiée (ex. : blessure involontaire, manquement à une norme de sécurité),
- Cette infraction doit être le fait d’un représentant ou organe de la société (dirigeant, délégataire, responsable…),
- Et ce représentant doit avoir agi dans l’intérêt ou au nom de l’entreprise.
- La responsabilité de la société ne peut pas être engagée du seul fait qu’un salarié a mal agi, ni parce qu’un dysfonctionnement est constaté.
Une condamnation annulée pour défaut d’imputation
Dans l’affaire examinée, un intérimaire s’est blessé en tombant d’une pelle hydraulique, pendant une mission au sein d’une entreprise. Cette dernière a été condamnée pour avoir mis à disposition un équipement de travail dangereux.
Mais la Cour de cassation a cassé cette décision.
Pourquoi ? Parce que la cour d’appel n’avait pas démontré que l’un des représentants de la société avait personnellement commis cette infraction précise.
Elle s’était contentée de dire que deux responsables n’avaient pas suffisamment formé l’intérimaire à la sécurité. Or, cela ne suffit pas : ce manquement à la formation n’est pas la même chose que la mise à disposition d’un équipement dangereux. Les deux infractions sont différentes, avec des éléments constitutifs distincts.
En ne prouvant pas que l’un des représentants de la société avait effectivement commis le délit reproché, la cour d’appel avait mal appliqué la loi. La cassation était donc inévitable.
Ce qu’il faut retenir pour les entreprises
Cet arrêt est un signal clair :
On ne peut engager la responsabilité pénale d’une société qu’en respectant les conditions strictes prévues par la loi.
- Pour les dirigeants
Il est essentiel de bien définir les délégations de pouvoir au sein de l’entreprise. Cela permet d’identifier clairement qui est responsable de quoi, en cas d’incident.
- Pour les juges
La condamnation d’une société exige une motivation précise : il faut démontrer le lien direct entre l’infraction et le représentant de la société qui l’a commise pour son compte.
- Pour les juristes et praticiens
Il faut éviter les glissements entre des fautes proches. Un manquement à la formation ne suffit pas à prouver une infraction liée à un équipement. Chaque infraction doit être prouvée indépendamment.
Conclusion
La responsabilité pénale des personnes morales n’est pas automatique. Elle repose sur une règle simple, mais exigeante :
Il faut identifier l’auteur, l’acte, et le lien avec la société.
En exigeant une telle rigueur, la Cour de cassation protège non seulement les droits de la défense, mais aussi la crédibilité du droit pénal des affaires. Pour les entreprises, c’est une incitation forte à bien organiser leurs responsabilités internes et à documenter leurs délégations.