Bail commercial : découverte d’amiante et obligation de délivrance du bailleur

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Bail commercial : découverte d’amiante et obligation de délivrance du bailleur

En droit des baux, il existe un principe essentiel qui est fixé par l’article 1719 alinéa 1 du Code civil :

« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :

1° De délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d’habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l’expulsion de l’occupant ; (…)»

En d’autres termes, même en l’absence d’une clause particulière dans le bail, tout bailleur est obligé, par la nature du contrat de bail, de délivrer au locataire la chose louée.

L’obligation de délivrance du bailleur, une obligation essentielle

Il s’agit de l’obligation de délivrance, essentielle à la formation du contrat de bail, qui oblige le bailleur à remettre au locataire un local conforme à sa destination contractuelle.

La jurisprudence a rappelé à de nombreuses reprises ce principe d’obligation de délivrance conforme, obligation inhérente au contrat de bail, en rappelant qu’aucune clause contractuelle ne pouvait en exonérer le bailleur, une telle clause étant réputée non écrite.

Ainsi, la mise à disposition d’un bien conforme à la destination contractuelle suppose que le bailleur s’assure que le locataire puisse exercer son activité.

Ni la connaissance de l’état des lieux, ni la faiblesse du loyer, ni les droits accordés au locataire de faire des travaux ne justifieront par principe que le bailleur soit exonéré de son obligation de délivrance.

L’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance peut donner lieu, à l’initiative du locataire, à une action en exécution forcée, à une action en exception d’inexécution et même à une action en résiliation du bail.

Mais, qu’en est-il lorsque le locataire entreprend des travaux de réhabilitation de l’immeuble lesquels font apparaitre de l’amiante ?

La prise en charge des travaux de désamiantage relève-t-elle de l’obligation de délivrance du bailleur ? Ou relève-t-elle au contraire de la prise en charge par le preneur dans la mesure où les travaux de désamiantage ont été rendus nécessaires par les travaux d’aménagement diligentés par le preneur lui-même ?

Obligation de délivrance et découverte d’amiante dans le cadre de travaux de réhabilitation du preneur

La Cour de cassation a répondu à cette question dans un arrêt récent (Cass. Civ. 3e, 18 janvier 2018, n°16-26.011).

Les faits soumis à la Cour de cassation étaient les suivants : une association avait pris à bail commercial auprès d’une SCI un immeuble à destination de crèche.

Au préalable, elle avait conclu un contrat de promotion immobilière portant sur la conception et la réhabilitation de l’immeuble.

Lors des travaux de réhabilitation, il a été découvert sur la toiture du bâtiment, des plaques de fibrociment contenant de l’amiante.

Le promoteur immobilier réalisa les travaux de retrait d’amiante non prévus dans son contrat.

C’est dans ce contexte que l’association avait assigné le bailleur en paiement de la somme correspondant au prix des travaux de désamiantage et en réparation du préjudice financier entraîné par le retard de la livraison de l’immeuble.

La Cour d’appel avait rejeté les demandes du preneur considérant notamment qu’en vertu du contrat de promotion immobilière, le promoteur était tenue à une obligation de résultat qui comprenait celle d’identifier et de contrôler la conformité de l’immeuble et son opération de réhabilitation aux règles de sécurité, d’hygiène et d’urbanisme en vigueur, y compris, par conséquent, celles relatives à la présence de matériaux ou de produits en amiante.

Egalement, les juges d’appel considéraient que l’association ne pouvait se prévaloir de son ignorance alors qu’elle avait connaissance du détail des travaux à réaliser en toiture et donc de la potentielle présence de matériaux susceptibles de contenir de l’amiante.

La Cour de cassation n’est pas de cet avis. Elle casse l’arrêt au visa de l’article 1719 du Code civil au motif que :

« les obligations pesant sur le promoteur immobilier envers le preneur, au titre des travaux de réhabilitation d’un immeuble loué, n’exonèrent pas le bailleur, tenu d’une obligation de délivrance, de la prise en charge des travaux nécessaires à l’activité stipulée au bail, sauf clause expresse contraire » (Cass. Civ. 3e, 18 janvier 2018, n°16-26.011).

En clair, le bailleur est tenu de supporter le coût des travaux de désamiantage au titre de son obligation de délivrance, alors même que le désamiantage n’a été rendu nécessaire que par les seuls travaux d’aménagement du preneur.

Une décision très sévère pour le bailleur.

Cette décision est très sévère pour le bailleur et ce d’autant plus qu’elle ne semble pas être dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation selon laquelle le bailleur avait rempli son obligation de délivrance dès lors que le désamiantage avait été rendu nécessaire par les travaux d’aménagement décidés par le preneur.

Face à la sévérité de la jurisprudence, il reste pour le bailleur la possibilité de prévoir au moment de la rédaction du bail une clause expresse dérogatoire quant à la prise en charge de ces travaux, clause qui devra être exempte de toute ambiguïté et clause qui devra s’accompagner d’une information suffisante pour le preneur laquelle pourra se traduire par la réalisation au préalable d’un diagnostic amiante avant travaux (DAAT).

Louise BARGIBANT
Avocat collaborateur

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