La mise en réserve systématique de bénéfices sans motif économique valable et non-conforme à l’intérêt social n’est pas forcément abusive

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La mise en réserve systématique de bénéfices sans motif économique valable et non-conforme à l’intérêt social n’est pas forcément abusive
La mise en réserve systématique de bénéfices par une société n’est abusive …

Lors d’une assemblée générale d’approbation des comptes, les associés d’une société civile immobilière donnant en location des immeubles lui appartenant ont décidé la mise en réserve de plus de 550.000 euros de bénéfices, étant précisé que cette décision faisait suite à des mises en réserve systématiques, pendant de nombreuses années.

L’associé minoritaire de cette société demandait l’annulation de cette résolution au motif qu’elle constituerait, selon lui, un abus de la part de associés majoritaires l’ayant approuvée.

La cour d’appel lui a donné raison après avoir rappelé que la mise en réserve systématique et sans projet d’investissement ou nécessité de gestion, des bénéfices d’une société est susceptible de caractériser un abus de majorité lorsqu’elle a pour effet de priver les associés minoritaires de leur droit aux bénéfices, d’autant qu’aucun dividende n’avait été distribué depuis de nombreuses années.

Pour la Cour d’appel, cette pratique de mise en réserve systématique des bénéfices relevait d’une politique de pure thésaurisation, contraire à l’intérêt social :

  • La vocation d’une société ayant une activité foncière est, en principe, de procurer un revenu périodique aux associés ;
  • La société n’avait pas de crédit en cours ni de projet d’investissement ;
  • Les réserves de la société s’élevaient déjà à plus de 600.000 euros, de sorte que cette nouvelle mise en réserve n’était pas justifiée par une gestion prudente ;
  • Les biens immobiliers appartenant à la société étaient donnés en location à une vingtaine de locataires différents et le plus important des deux biens appartenant à sa filiale était loué au conseil régional, si bien que la nécessité de se prémunir contre un risque de vacance devait être relativisée ;
  • Les disponibilités de la société s’élevaient, à la clôture du dernier exercice, à plus de 700.000 euros.
… que si elle est décidée dans l’unique but de favoriser les associés majoritaires au détriment des associés minoritaires.

La Cour de cassation a censuré cette décision au motif que la Cour d’appel n’avait pas expliqué en quoi la décision de mise en réserve des bénéfices avait été prise dans l’unique dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment de l’associé minoritaire.

Par conséquent, la Cour de cassation a considéré que la résolution de mise en réserve des bénéfices n’était pas constitutive d’un abus de majorité et qu’elle ne devait donc pas être annulée.

Remarque : Comme il en est dans tous les domaines de la vie sociale, la minorité est protégée en droit des sociétés. Cela signifie que lorsque les associés majoritaires exercent leur droit de vote au détriment de la minorité, et contrairement à l’intérêt social de la société, il y a abus de majorité.

L’action en abus de majorité peut être intentée contre les associés sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du Code civil, dans la perspective de demander des dommages et intérêts, et contre la société au visa des dispositions de l’article 1844-10 du Code civil pour solliciter l’annulation de la délibération « abusive ».

La Cour de cassation a déjà jugé, à plusieurs reprises, que la mise en réserve systématique des bénéfices pouvait constituer un abus de majorité (Cass. Com. 22 avril 1976 ; Cass. 3ème civ., 7 février 2012, numéro 10 – 17. 812).

L’absence de conformité à l’intérêt social d’une mise en réserve systématique de bénéfices sans motif économique valable, telle la mise en œuvre d’une gestion prudente en période de crise ou la poursuite d’une politique d’investissement, ne fait pas de doute (Cass. com. 6-6-1990 n° 88-19.420 : Bull. civ. IV n° 171).

Cependant, cette absence de conformité ne suffit pas à caractériser à elle seule un abus de majorité. Il faut encore, ainsi que le rappelle ici la Cour de cassation, que cette mise en réserve soit décidée dans l’unique dessein de favoriser les majoritaires au détriment de l’associé minoritaire. Cette condition n’était pas remplie en l’espèce.

À l’inverse, une mise en réserve de bénéfices n’a pas été considérée comme une mesure de prudence dans un contexte économique difficile dès lors qu’elle résultait de l’augmentation de sa rémunération par le gérant majoritaire ; la mise en réserve ayant ici favorisé ce dernier au détriment du minoritaire, l’abus était caractérisé (Cass. com. 20-2-2019 n° 17-12.050 F-D : BRDA 8/19 inf. 3).

Cass. com. 10 juin 2020 n°18-15.614 F-D

PB Avocats

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