Un enregistrement audio obtenu de manière déloyale par un salarié peut-il prouver un accident du travail ?

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Un enregistrement audio obtenu de manière déloyale par un salarié peut-il prouver un accident du travail ?

Une récente décision de la Cour de cassation marque une évolution significative dans l’appréciation des preuves en droit du travail. Elle souligne que, dans certaines circonstances, la fin peut justifier les moyens, même si ces derniers peuvent être considérés comme déloyaux.

L’évolution jurisprudentielle en matière de preuve illicite en faveur des salariés

Traditionnellement, le système juridique français était réticent à admettre des preuves obtenues de manière illicite ou déloyale (enregistrement audio clandestin, notamment). Cette position visait à protéger les droits fondamentaux, notamment le droit à la vie privée et au secret des communications.

La jurisprudence a récemment évolué, reconnaissant que l’exclusion systématique de telles preuves pouvait parfois conduire à des injustices, particulièrement dans des situations où la partie la plus faible (souvent le salarié) rencontrait des difficultés insurmontables pour faire rétablir ses droits.

Mais il n’était bien sûr pas question d’admettre « tout et n’importe quoi ».

L’assemblée plénière de la Cour de cassation, par arrêt du 22 décembre 2023 (Cass. ass. plén. 22-12-2023 n° 20-20.648), a posé un cadre jurisprudentiel très strict pour l’admission des preuves dites « illicites ». Deux critères principaux ont été définis :

  • L’indispensabilité de la preuve pour l’exercice du droit en cause
  • Le respect d’un juste équilibre entre les droits antagonistes

    La Cour de cassation a déjà fait plus fois application de cette jurisprudence en matière prud’homale (Cass. soc. 17-1-2024 n° 22-17.474 F-B  ; Cass. soc. 14-2-2024 n° 22-23.073).

Application au contentieux des accidents du travail

Le droit du travail présente des enjeux particuliers en raison du déséquilibre inhérent à la relation employeur-salarié. La reconnaissance d’un accident du travail et de la faute inexcusable de l’employeur a des conséquences importantes en termes de réparation et de protection du salarié.

Dans l’arrêt du 6 juin 2024, la 2e chambre civile (qui est chargée de l’examen en cassation du contentieux des accidents du travail) a effectué une analyse approfondie de la proportionnalité entre l’atteinte à la vie privée du gérant d’une société et le droit à la preuve du salarié. Cette analyse prend en compte :

  1. La gravité de l’atteinte à la vie privée.
  2. L’importance de l’enjeu pour le salarié.
  3. L’absence d’autres moyens de preuve disponibles (en d’autres termes, il faut que cette preuve « illicite » soit la seule façon que le salarié a de prouver ses allégations ; il faut donc établir une indisponibilité objective de tout autre moyen de preuve)

En l’espèce, la 2e chambre civile a jugé qu’un salarié peut valablement produire en justice un enregistrement réalisé à l’insu de son employeur avec qui il a eu une altercation s’il est indispensable à l’exercice du droit du salarié à voir reconnaître le caractère professionnel de l’accident ayant résulté de cette altercation et la faute inexcusable de son employeur.

À notre connaissance, c’est la première fois que cette nouvelle jurisprudence est appliquée au contentieux des accidents du travail.

Harmonisation des chambres de la Cour de cassation

L’alignement de la deuxième chambre civile sur la position de la chambre sociale témoigne d’une volonté de cohérence au sein de la Cour de cassation. Cette harmonisation renforce la sécurité juridique en clarifiant la position de la plus haute juridiction sur cette question.

Cette convergence guide les cours d’appel et les tribunaux de première instance dans leur appréciation des preuves illicites, favorisant une application plus uniforme du droit sur l’ensemble du territoire.

Il est probable que cette jurisprudence continue d’évoluer, avec peut-être une extension à d’autres domaines du droit où des déséquilibres similaires entre les parties peuvent exister.

Cette approche nuancée de la Cour de cassation reflète une volonté de trouver un équilibre entre la protection des droits individuels et la nécessité de permettre l’établissement de la vérité judiciaire, particulièrement dans des situations où il existe un déséquilibre de pouvoir entre les parties.

Attention : la preuve illicite expose toujours potentiellement le salarié, selon les cas, à des poursuites pénales. Cette nouvelle jurisprudence n’est pas un passe-droit pénal. Mais l’illicéité de la preuve n’est plus un cas d’irrecevabilité ou de rejet automatique de celle-ci devant le juge civil (conseil des prud’hommes, pôle social au tribunal judiciaire, etc.).

Cass. 2e civ. 6 juin 2024 n° 22-11.736 FS-BR

PB Avocats

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